25/04/2013

La justice est-elle tombée dans le panneau?

Pourquoi la faute du syndicat de la magistrature n'est pas anodine. 
Oui, cette histoire de panneau est une faute, et elle est grave.
Certes c'est dans un local privé, c'était un exutoire, "c'est pas nous qu'ont commencé, c'est eux", etc, etc..
Mais fallait pas tomber dans le panneau. Dans la guerre qui se prépare, s'exposer aussi naïvement à l'adversaire est une véritable faute.
En se faisant ainsi piéger, le SM a clairement offert sur un plateau à la droite un canon pour se faire dégommer. Les snipers de l'UMP ne s'en sont pas priés : une occasion inespérée (ou préméditée?) pour la droite de lancer une nouvelle offensive contre la justice dans sa configuration actuelle pour imposer sa vision à elle, relayée dans la société civile par des organisations aussi étrange que populaires que l'institut de la justice. Ce moment qui tombe à point nommé pour elle. 
Sarkozy, Guaino, et autres chiens de garde de l'ancien président ont montré qu'ils seraient sans pitié. Sarkozy y joue sa survie politique, il est prêt à tout et sait très bien qu'il sortira galvanisé s'il gagne son combat contre les juges. Comme Berlusconi, il tentera le tout pour le tout et ne fera pas de quartier face à cette meute de "fonctionnaires corporatistes incompétents, irresponsables, jaloux, aigris et uniquement animés par le fantasme de faire tomber un homme de pouvoir" que sont les magistrats selon les discours en filigrane des plus excités. L'avocat de Sarkozy ne s'est pas privé d'attaquer, à tort, l'impartialité du juge Genty pour ses activités extra-professionnelles militantes, il ne se privera pas de le faire sur d'autres cibles encore plus faciles, les juges syndiqués, comme l'annonce Philippe Devedjian
On assiste à un mariage de circonstance entre les puissants impliqués dans des affaires de délinquance en col blanc, convaincus que ce qu'ils font n'est pas vraiment répréhensible vu qu'ils ne font de "mal à personne", et les classes populaires engluées dans leurs préoccupations sur l'insécurité, lesquelles s'entendent dire en boucle que s'il y tant de délinquance, c'est la faute aux juges.  Ben oui la délinquance est favorisée par "le laxisme des juges, plus compassionnels avec les coupables qu'avec les victimes".
Le message est clair : ce qui ressort de cette convergence de vue, c'est que la justice ne doit pas servir à faire régner le droit, en sanctionnant et en donnant de nouvelles chances aux coupables ayant purgé leur peine. La justice doit être vue comme un service de réparation aux victimes de la délinquance, en faisant payer les coupables à hauteur de la gravité de leur crime. Une sorte de "service public de la vengeance". Pour le reste il s'agira de durcir la lutte contre la délinquance en durcissant la tolérance zéro si c'est encore possible, et en fusionnant la répression et la prévention dans des concepts nébuleux de prévention de la récidive, et autre neutralisation préventive des sujets à risques, comme "sécurisation sécuritaire de la société", seule façon de garantir la tranquilité des gens honnêtes.
Mécaniquement, on comprend bien pourquoi la délinquance en col blanc accède à l'impunité dans ce schéma là. Leurs actes étant dématérialisés, abstraits, ces délinquants commettent des délits sans victimes (apparentes). Une justice centrée sur le service aux victimes ne s'attaquerait donc plus vraiment aux délits sans victimes déclarées. Ce n'est pas un hasard si Sarkozy avait cherché à renforcer la justice pour les justiciers ordinaires, les classes populaires, avec les jurés "populaires" traitant de délits "populaires" aux assises, tout en affaiblissant les moyens de la justice financière (cf interview Eva Joly).
Cette dérive est bien sûr grandement facilité par le concours (involontaire?) des médias. 
Dans les affaires de corruption, le principe, c'est que le préjudice est toujours "invisible", indétectable. Les victimes ne sont pas conscientes du tort qu'on leur a fait. 
Tout le contraire de la délinquance de type "racaille", concret, violent, brutal avec un traumatisme émotionnel réclamant une punition vengeresse.
Il y a la délinquance spectaculaire, personnifiée, télégénique. Celle du fait-divers qui passe à la télé et dans Le Parisien / Aujourd'hui en France. Celle qui nous ébranle sur le registre de l'émotion sans solliciter la raison.
Et il y a la délinquance invisible, imperceptible, on pourrait dire indolore presque.
C'est la corruption, l'escroquerie, la fraude.
Cella là ne nous atteint pas. Cette délinquance, abstraite mais pourtant pas virtuelle, ne touche pas nos émotions. Elle ne peut que solliciter un effort de réflexion, ce qui, du fait de notre accoutumance à l'immédiateté télévisuelle, est plutôt une activité que l'on dédaigne.
Elle n'est pourtant pas indolore. On en souffre. Mais comme on ne sait pas établir les relations de causes à effet, on l'ignore.
C'est par exemple l'évasion fiscale qui entraine un manque à gagner astronomique pour l'Etat, lequel le répercute sur les dépenses publiques, et ça c'est pour notre gueule. Un médicament déremboursé, une franchise de plus, une TVA majorée.  Qu'est-ce que ces petits euros qui partent au quotidien, sinon le fait que les fraudeurs du fisc et des cotisations sociales nous font les poches?
Les magistrats ne doivent pas sous-estimer l'importance du mur des cons, cet anecdotique panneau qui pourrait faire tomber toute la justice.
La droite est tout entière mobilisée. A court-terme, les responsables jouent leur survie dans les affaires (Sarkozy, Copé, Hortefeux cités dans le dossier Takkiédine, Woerth dans le finacement de campagne UMP, l'hippodrome de Compiègne..) et à long terme, c'est une stratégie facile de fidélisation électorale des couches populaires polarisées par le FN. La droite est doublement motivée pour relancer son offensive. Et ce n'est pas le gouvernement actuel qui sera assez lucide, courageux et motivé pour la contrer. Tenez, au sujet de la fameuse transparence des élus. Qu'a fait le PS? Il a juste parlé de morale, pas de justice. Comme l'a justement remarqué Seb Musset, avec la transparence, on s'attaque au mensonge, pas à la lutte contre la fraude.
C'est un tout projet de société qui s'installe. Le PS n'en a pas (d'autre) à opposer.
La gauche doit se remettre au boulot. L'institution judiciaire doit accepter la critique, la remise en cause, et sortir de certains dogmes qui ont montré leurs limites. Elle doit le faire de façon urgente et intelligente, se montrer plus humaine, humble et pragmatique, et non s'arquebouter sur des postures conservatrices, car là elle ne fera pas le poids, et risquera de se trouver brutalement dépossédée de la vraie noblesse de sa mission. On a jamais raison très longtemps contre le reste de la population. On doit convaincre ou se plier. Convaincre implique un changement d'attitude, et notamment dans les pratiques syndicales, pour ne pas se tirer des balles dans le pied.
Pour le moment c'est un vrai boulevard pour la droite. Peut être le thème majeur de la prochaine campagne électorale. "L'insécurité, Chapitre 2". Qui s'inscrit dans le démantèlement de l'Etat impartial d'après-guerre, garant de l'intérêt général, pour le remplacer par l'Etat autoritaire, garant de l'ordre moral, conformément à l'infrastructure minimaliste requise par le capitalisme pour garantir l'ordre public et l'impunité des classes dominantes, qui écrivent les lois qu'elles-mêmes contournent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à m'enrichir de votre point de vue, surtout s'il est différent !