15/11/2015

L'intégration, cet effort réciproque qui reste à accomplir (faut-il retourner à l'école?)


Le jeudi 12 novembre au matin, dans le cadre de mon activité professionnelle, j'ai rencontré des représentants de l'Etat qui promouvaient la charte "Entreprises et Quartiers" afin d'impliquer des entreprises volontaires dans des actions de développement économique de quartiers défavorisés.
Au delà de cette louable ambition, on a rapidement pointé du doigt la question de "l'intégration".
Car si on n'effectue aucune discrimination dans le recrutement, sociologiquement, les candidatures que l'on reçoit semblent déjà filtrées. On n'a peu de candidatures émanant de quartiers sensibles.


Un constat, une discussion sans suite, mais l'évocation de la question de l'intégration.
Et pour moi au final l'intuition que tout démarre à l'école.
En prenant conscience d'une bizarrerie qui m'était jamais apparue jusqu'ici.
Comment se fait-t-il que la langue arabe ne soit pas enseignée dans les collèges au même titre que l'anglais, l'espagnol ou l'allemand?

La question se pose, alors que près de 3 millions de français sont arabophones, que la France avait par le passé colonisé les régions du Maghreb et conserve encore une forte influence économique et culturelle dans ces régions. Pourquoi l'arabe arrive si loin dans le classement des langues vivantes du baccalauréat?
Pourquoi un tel tabou, pour ne pas parler d'indifférence ou de mépris?
Comment les français d'origine arabe peuvent-ils ressentir cela?
Et pourquoi ces jeunes bilingues ne peuvent pas ou si peu faire valoir cette compétence dans le système scolaire français ?


On reproche beaucoup aux populations issues de l'immigration de ne pas vouloir s'intégrer. De ne pas chanter la Marseillaise, de ne pas sentir français.. Avec les attentats, l'incompréhension est forcément montée d'un cran.



Sans parler spécifiquement des terroristes, mais plutôt de ceux qui se présentent comme sympathisants de l'EI, il semble incompréhensible pour beaucoup que des jeunes qui ont grandi sur le territoire français avec l'appui de l'Etat-providence face preuve d'une si virulente ingratitude.
C'est vrai que ça ne semble pas logique. Je crois que nous avons sans doute une lecture trop cartésienne de la situation, trop basiquement économique, alors qu'à mon avis il faut aller chercher des explications dans la psychologie.
Sans tomber dans l'excès de la victimisation, faire l'effort de l'empathie devrait nous éclairer.
Comment un jeune peut-il ressentir tous ces messages divers et variés qui lui répètent dès son enfance "oui tu es différent, mais tu dois faire un effort pour devenir comme nous, en acceptant ce qu'on va t'apporter, sachant que ce que tu peux nous apporter ne nous intéresse pas. Ta langue d'origine, ton héritage culturel, ta littérature, cache-la, tout ça ne nous intéresse pas. Cela ne te sera d'aucune utilité"
Chacun de ses jeunes ne grandit-il pas chez nous avec une blessure plus ou moins consciente à l'orgueil? Sachant qu'il n'y a pas de maître à penser plus fort qu'un orgueil blessé, je vois là l'hypothèse la plus plausible pour expliquer cette situation apparemment irrationnelle.

Expliquer n'est pas excuser, expliquer n'est pas justifier. Expliquer, c'est aider à comprendre, et comprendre permet d'agir de façon pertinente, de façon juste. C'est à chacun de nous d'agir.
Nous sommes co-responsables de la situation, donc tous concernés, impliqués et dans le devoir d'agir. Rappelons-nous que dans un contexte collectif donné, la responsabilité que l'on peut assumer est directement proportionnelle au pouvoir qu'on détient pour peser sur ce contexte. Autrement dit, il est trop facile de mettre la pression sur les classes sociales les plus fragiles pour espérer que la situation évolue, en leur donnant l'injonction de s'intégrer.

Intégrer ce n'est pas juste "accueillir, laisser une place et faire rentrer dans le rang". Intégrer c'est aller vers l'autre, s’intéresser à lui, se mélanger : c'est autant donner qu'accepter de recevoir.
Mais cela implique de pouvoir faire preuve d'une humilité, d'une bienveillance et d'une confiance qui fait sans doute défaut à une grande partie de la population.
Comment lui redonner tout ça?
Faut-il qu'on retourne tous à l'école?
Si c'est trop tard pour nous, ne nous résignons pas pour nos enfants..


Bien sûr, la question de l'intégration ne vient pas se substituer aux autres raisons qui font que la France est la cible de la folie criminelle de fanatiques de cette effrayante secte islamiste. La France n'est pas seule responsable de l'essor de l'Etat Islamique en Irak et en Syrie. Mais je crois malgré tout que si toute la population française avait pu apprendre les bases de l'arabe à l'école, on n'aurait pas forcément eu plus de lectures fondamentalistes, et l'échange intellectuel aurait favorisé des lectures progressistes, et surtout permis de mieux lutter contre les embrigadements sectaires.
Et aujourd'hui qui sait, avec une destinée plus clémente, nous ne serions pas en train de nous interroger sur les raisons qui poussent des djihadistes à mourir, en s'en prenant de façon abjecte et absurde à la France et à ses habitants.

Edit du 21/11/2015
Dans ce témoignage de l'Express, dont voici un extrait
Et enfin cette question: "Pourquoi est-ce qu'on est choqué par ce qu'il se passe en France, alors qu'il se passe des choses bien pires ailleurs?" Je n'ai pas su répondre à cette question, je séchai, je balbutiai: "Tu as raison, c'est injuste, mais là, c'est nous, c'est toi, c'est moi." Je crois que justement non, ce "nous" n'existe pas aux yeux de ces jeunes. Ce "toi" et ce "moi" ne font pas "nous". Je pense qu'on touche du doigt ici le ressentiment inconscient d'une partie de la population qui est incapable de plaindre ces autres qui les méprisent. Ce serait, toutes proportions gardées, comme abandonner à ses "bourreaux" le statut de "victime"qu'ils peuvent arborer comme une fierté, ce qui donne force à leur conscience.
Le ressentiment est fort, je pense qu'on le sous-estime, qu'on ne veut pas le voir, parce qu'on ne le comprend pas.

1 commentaire:

  1. Très bon point. Je vous raconte mon expérience personnelle de réfugié. Ma situation était naturellement différente de celle des Francais d'origine africaine nés en France. Néanmoins, le besoin de reconnaissance et respect des nos spécificités reste la même.

    Mes parents et moi avons fui le Liban lors de l'invasion du pays par Israel dans les années 80. Nous avons été accuillis par la Suède et avons vécu dans une jolie petite ville de moins de 30000 habitants au nord du pays.

    Outre les structures d'accueil et d'accompagnement scolaires pour un apprentissage rapide de la langue et une mise à niveau dans les autres matières, le pays offre à ceux qui le souhaitaient des cours de langue de leur pays d'origine. Même lorsqu'il y avait peu d'élèves pour une certaine langue, un prof particulier venait alors à l'école quelques heures par semaine.

    J'en ai encore un souvenir attendri de cette période. Quitter le Liban en guerre a été un déchirement profond et créé un sentiment d'infériorité et une sensibilité exacerbée. Mais le respect de notre entourage pour qui nous étions, leur intérêt pour notre histoire et notre langue, a fortifié en nous les mêmes sentiments.

    J'ai aussi vécu en France, et j'ai souvent eu l'impression qu'on souhaitait nous forcer à entrer dans un moule étroit pré-défini. Même si pour y arriver il est nécessaire de me faire violence en rejetant des parts importantes de ce qui fait mon identité. La langue en fait partie, tout comme le code vestimentaire et plus généralement le discours ambiant ignorant et négatif sur ce qui fait mon identité.

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