19/11/2013

L'orgueil, faux ami?

Ce n'est pas un scoop, la compétition régit nos interactions et façonne nos rapports à autrui. Je reste néanmoins surpris de constater à quel point c'est prégnant, et de constater à quel point ce que l'on appelle communément "orgueil" vient troubler notre discernement, voire notre activité intellectuelle, alors que nous nous estimons adultes.
Nous le savons, nous sommes pétris d'orgueil, à tel point que notre libre-arbitre s'en trouve bien souvent affecté. Combien de fois devrions-nous admettre que notre orgueil est le véritable commanditaire de nos actes, de nos pensées, de nos paroles? Ne serait-ce lors des spectaculaires contorsions intellectuelles dont nous sommes capables pour éviter de reconnaître que nous nous sommes trompés.


Un aspect qui me préoccupe particulièrement, c'est que tout ceci nuit à l'échange et la concrétisation de nos plus belles idées.
Quiconque s'est frotté aux milieux militants les plus humanistes et les plus bienveillants a pu faire parfois la douloureuse expérience de la brutalité des rapports entre individus pourtant bien intentionnés.
Quand chacun se bat pour améliorer son existence sociale ou pour se faire entendre, quand notre estime de soi se mêle à la question de notre image, quand on aspire à plus de reconnaissance, quand on se retrouve dans un contexte où l'on se préoccupe plus de savoir qui est celui qui parle que d'écouter ce qu'il dit, les interférences avec l'orgueil prennent des proportions considérables.
Bref sus à l'orgueil, serais-je tenté de dire. Mais avant de savoir si on pouvait se passer de l'orgueil, je me suis posé la question de savoir à quoi il pouvait bien servir.


A quoi sert notre orgueil?

Je laisserais les spécialistes en sciences sociales se prononcer sur la question, en attendant il me semble que l'orgueil est une émotion, un réflexe, auquel notre personnalité a plus ou moins recours. Je vois l'orgueil comme un mécanisme de défense relevant de l'auto-persuasion. Un réflexe pratique pour affronter les aléas de l'existence, quand on évolue dans un environnement hostile (ou qui nous apparait hostile), mais en tous cas un réflexe qui nous éloigne fortement de la lucidité.
Voilà pourquoi dans l'absolu je suis plus attiré par l'humilité que par l'orgueil. Contrairement aux idées reçues, je crois que l'humilité peut nous faire déplacer des montagnes, bien mieux que l'orgueil, car l'humilité nous amène à apprécier plus précisément les ordres de grandeur - et de la montagne - et de notre potentiel.


Après, l'orgueil nous est peut-être indispensable, comme la couche de chrome qui ne se contente pas que de faire illusion sur l'objet ferreux vulnérable. Elle le protège bel et bien de la corrosion face à toutes les petits agressions du temps qui passe.
A-t-on besoin d'être galvanisé dans ce monde impitoyable? Il faut croire que oui.
On attend tous une "réaction d'orgueil" après une humiliation. Comme si l'orgueil était parfois le bras armé de la justice.
Et en disant cela, on voit bien le cercle vicieux. Faire cohabiter dans une phrase arme et justice, c'est mettre en lumière l'impossible utopie.
Faut-il rêver d'un monde sans orgueil?


Remettre l'orgueil à sa place
Comme dirait tout bon robinet d'eau tiède, tout est affaire de dosage. Je crois que c'est le cas pour l'orgueil.
Et mine de rien, trop d'orgueil, c'est comme la cuisine trop salée, on aime bien mais ça nous rend pas service.
Au niveau macroscopique, déjà.
En France en particulier, car je crois que l'orgueil est une parade qu'on aime bien dans les pays latins, et que la France est un pays bien latin sur ce plan là.
Cette ancienne puissance coloniale en déclin a mangé son pain blanc, elle doit accepter de rentrer dans le rang, et chaque français doit accepter de mettre au placard son orgueil nationaliste, ce qui lui coûte un bras.
Mais on doit le faire, au lieu de chercher à dénigrer voire maltraiter les "autres", ceux qui ne nous ressemblent pas, comme par nostalgie de notre identité révolue de dominants. On verra que la démarche est plus gratifiante et moins déshonorante, que s'accrocher à la baudruche que Brassens pourfendait déjà à l'époque. 


Et au niveau microscopique. L'orgueil est un faux ami. Celui qui nous fait user de mauvaise foi dans les discussions, qui nous fait faire des têtes à queues intellectuels et brandir des valeurs à géométrie variables pour ne pas perdre la face.
Celui qui nous empêche de dire "merci", "pardon" ou simplement "oui", alors qu'on gagnerait un temps fou à prononcer ces mots..

L'orgueil est redoutable. C'est une drôle de bestiole qui se renforce à chaque fois qu'on la blesse. 
L'orgueil a un rival légendaire, c'est la confiance. L'orgueil abonde là où la confiance végète. La confiance dans son prochain comme la confiance en soi. L'orgueil prospère là où l'amour-propre se débat. Et réciproquement.
Aussi pour remettre l'orgueil à sa place, cela implique que la confiance et notre amour-propre reprenne la leur, de place.
Il conviendra donc de favoriser l'émergence d'un contexte où la confiance et l'amour-propre de chacun vont reprendre du terrain sur l'orgueil.


La communication, un jeu de mikado... passionnant..
Une de mes pistes privilégiées, c'est la façon de communiquer. Nous habituer à mieux communiquer, c'est nous remettre en confiance. C'est nous habituer à moins solliciter notre orgueil, à affaiblir son influence.


Il s'agit, dans les échanges que nous avons avec les gens, de ne pas oublier que l'orgueil est un vigile dormant, que l'on peut réveiller à la moindre maladresse. Ne pas oublier que quand l'orgueil se réveille, il va bloquer l'accès, ou, en tous cas, considérablement compliquer les échanges, comme le douanier trop zélé au passage de la frontière.
Aussi, dans un contexte où la confiance des interlocuteurs n'est pas acquise, je crois qu'il est utile d'appréhender toute communication comme une partie de mikado, car nous devons nous concentrer sur le message, sans toucher tout ce qui pourrait alerter l'orgueil de l'interlocuteur.
C'est un peu le sens de ce que l'on appelle communication assertive, communication sans jugement et autre communication non-violente.
Ces techniques me semblent indispensables car avec un peu d'entrainement, cela peut vraiment "changer la vie". Bien sûr la communication restera toujours un art difficile, où l'on a toujours à apprendre, où l'on peut même toujours se considérer comme débutant. Mais quand je pense qu'à l'école on continue à s'acharner sur l'imparfait du subjonctif et autres malformations héritées de la langue française, au lieu d'apprendre ces bases là, il y a de quoi être frustré.
Les anglo-saxons eux sont moins frileux sur ces sujets, et (malheureusement) c'est le monde de l'entreprise qui semble à l'heure actuelle exploiter au mieux ces précieuses techniques, avec tous les écueils que l'on peut craindre. En effet tirer le meilleur de son prochain grâce à une bonne communication, si c'est à ses dépens, comme souvent en entreprise, c'est plutôt malsain. Justement, ne leur laissons pas le monopôle de ces outils.
Je demande en tous cas à tous ceux qui ont des préjugés contre ces sujets, parce que justement trop connotés "entreprise", parce que vus comme des armes de manipulation et comme des munitions de l'oppression capitaliste, d'aller jeter un coup d'oeil à ces techniques.
En particulier ce petit texte d'une consultante canadienne. Ne vous laissez pas rebuter par le contexte, par l'environnement qui cause de PNL, et lisez son "test du macho".


Les machos ont-il le monopole de l'orgueil?
Ce que décrit Shelle Rose Charvet, ça parlera à beaucoup de monde je pense.
Ce petit texte est tellement pertinent à mes yeux qu'il aurait pu remplacer ce billet à lui tout seul. Son seul défaut je trouve, c'est l'usage du mot "macho". Parce que ce mot est à mes yeux trop lié à la question sexiste, et que pour moi ce qu'elle décrit n'est pas spécifique au machisme. Certes elle dit elle-même que même les femmes peuvent être machos. Mais je crois que le raccourci est réducteur. 
En effet je vois le machisme comme une culture, ultra-répandue, favorisant l'usage intensif de l'orgueil, et historiquement spécifique à la gente masculine. Cette approche pourrait nous donner de bonnes raisons de penser que le macho, c'est l'autre.
Il me semblait important au contraire de repartir de la base, de ce qui nous concerne tous, car je crois que quelle que soit notre culture, notre éducation, nos valeurs, notre vécu ou notre genre nous sommes tous (plus ou moins) pétris d'orgueil. 
C'est à mes yeux une problématique universelle, vis à vis de laquelle une vision lucide, une acceptation bien assumée, ça ne peut que constituer un atout précieux pour ce qui est de "vivre ensemble"..


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